Assurance emprunteur, la presse en parle !

Ces milliards que les banques ne veulent pas rendre

Les banques refusent de restituer à leurs clients emprunteurs quelque 15 milliards d’euros de bénéfices excessifs encaissés entre 1995 et 2007. En Grande-Bretagne, où le problème se pose aussi, elles sont en train de payer… Votre banque vous doit probablement de l’argent, et la somme n’est pas symbolique. Si vous avez souscrit un emprunt immobilier ou un crédit à la consommation entre 1995 et 2007, il est fort probable que vous avez payé l’assurance emprunteur beaucoup trop cher. Facultative en théorie, elle est obligatoire en pratique, puisque la banque peut refuser le prêt si vous ne prenez pas cette couverture contre l’incapacité, l’invalidité ou le décès. Si le consommateur n’a pas vraiment le choix, les assureurs, de leur côté, doivent pratiquer des tarifs raisonnables. En assurance vie comme en assurance de prêt, il existe en effet une disposition, que beaucoup de consommateurs ignorent, qui vise à éviter la surfacturation des contrats : c’est la participation des clients aux bénéfices techniques et financiers. Si le montant des primes encaissées est trop élevé par rapport aux sinistres, il faut reverser l’excédent. Le lobby des banques et des assurances a réussi à mettre ce principe entre parenthèses pour l’assurance emprunteur en 1995, par le biais d’un arrêté très discutable, entré dans le code des assurances via l’article A 331-3 (voir encadré). En 2007, marche arrière. Le code des assurances a été modifié et une disposition a posé sans ambiguïté que les assurés avaient le droit à la participation aux bénéfices pour les crédits immobiliers et les crédits à la consommation. Mais alors, quid de la période 1995-2007 ? Douze années de bénéfices indus estimés à 15 milliards d’euros à partager entre une dizaine de millions d’emprunteurs… Soit 1 500 € en moyenne, parfois le double, voire le triple… Répondant à une action en justice engagée par l’UFC-Que Choisir, le Conseil d’État a rendu, en juillet 2012, un arrêt qui a dit très clairement que l’article A 331-3 était illégal, donc non applicable. Conséquence, les banques et les assureurs doivent payer. Les banques anglaises remboursent C’est ce qui se passe en Grande-Bretagne. Suite à une action engagée par la Financial Service Authority (FSA, le gendarme du secteur financier) en 2007, les banques ont dû admettre qu’elles avaient surfacturé l’assurance emprunteur pendant des années. Aujourd’hui, elles restituent à tous les clients qui en font la demande les sommes indûment perçues. Et ils sont nombreux, car tous les médias britanniques ont parlé du scandale des « paiement protection insurances » ! Les sommes versées entre janvier 2010 et octobre 2012 se montent à plus de dix milliards d’euros (huit milliards de livres). Le marché britannique de l’assurance emprunteur a été divisé par quatre en cinq ans, plongeant à 10 milliards d’euros en 2011 contre plus de 40 milliards en 2007, sans catastrophe sociale. Et pour cause, les sommes perçues étaient hors de proportion avec les sinistres réels. Des marges anormalement élevées Si le cadre juridique est différent, sur le fond, la situation est identique en France. Nous avons payé et nous payons encore trop cher nos assurances emprunteurs. Mais, à la différence des Britanniques, les autorités françaises ne semblent guère pressées de solder le passé. L’AMF (Autorité des marchés financiers) et l’ACP (Autorité de contrôle prudentiel) se déclarent incompétentes, le gouvernement se tait et les fédérations françaises des banques et des assurances font le gros dos, en espérant que les quinze milliards tomberont dans l’oubli. L’agence de notation Moody’s a déjà annoncé la couleur. Si elles devaient payer, les banques verraient probablement leurs notes dégradées… Aujourd’hui encore, l’assurance emprunteur dégage des marges anormalement élevées sur le marché français. Selon une étude du courtier BAO, elles s’élèvent à 50 %. C’est sur elle et ses six milliards d’euros de chiffre d’affaires annuels que les banques gagnent de l’argent en matière de crédit immobilier. Pour un emprunt à 25 ans, elle peut représenter pratiquement un tiers du TEG, taux effectif global (1). Quant à la participation aux bénéfices, elle est reversée par les assureurs… aux banques, car elles considèrent que ce sont elles qui souscrivent des contrats de groupe au nom de leurs clients ! Le gouvernement a officiellement avalisé cette interprétation en 2008. De l’art de vider un texte de sa substance… Les pouvoirs publics répètent pourtant à l’envi qu’il faut plus de concurrence dans l’assurance emprunteur. Le législateur s’est penché quatre fois sur le dossier en cinq ans (2) ! Mais de compromis savants en balances subtiles visant à défendre à la fois le consommateur et les marges des banques, le dossier avance à une lenteur désespérante. Dernière réforme entrée en vigueur, la loi Lagarde de septembre 2010 s’est contentée d’aménagements homéopathiques. Elle dit que les banques doivent améliorer l’information du client et lui laisser la possibilité de souscrire une assurance emprunteur ailleurs, à « garanties équivalentes », notion qui n’a pas été définie. Vu la difficulté à comparer les contrats, il est assez facile de repousser les offres alternatives. Sans parler du fait que deux sondés sur trois ignoraient encore, en mars 2012, qu’ils pouvaient choisir une autre assurance emprunteur que celle proposée par leur banquier (sondage réalisé pour le courtier AcommeAssur). À ce rythme, encore dix ans et la loi Lagarde sera un succès. Une cinquième réforme en six ans Le nouveau projet de loi bancaire 2013 changera-t-il la donne ? Il a été adopté en février par l’Assemblée nationale et devait être examiné début mars par le Sénat. Du point de vue des consommateurs, il semble plein de bonnes intentions. Il donne en particulier la possibilité à l’emprunteur de proposer à sa banque une autre assurance avec des garanties équivalentes, dans un délai de trente jours après avoir reçu son offre de prêt et d’assurance. Problème : le projet de loi ne dit pas dans quel laps de temps la banque doit répondre. Et comme la contre-proposition de l’emprunteur ne suspend pas le délai de validité de l’offre initiale, il suffit à l’établissement prêteur de jouer la montre. La veille de l’expiration de la proposition de prêt, le client n’a plus vraiment le choix et accepte le contrat que la banque lui propose… Bataille juridique : Le feuilleton continue 1966 : le Parlement adopte un amendement imposant aux compagnies d’assurances de faire participer les assurés aux bénéfices. Objectif : empêcher ces dernières de réaliser des marges excessives. 1967 : un arrêté d’application limite la portée du texte à l’assurance vie. 1984 : un nouvel arrêté exclut l’assurance emprunteur de la participation aux bénéfices. Des années fastes commencent pour les assureurs et les banques. 1995 : la participation aux bénéfices pour les contrats collectifs en cas de décès, incapacité, invalidité est exclue par le code des assurances, à l’article A 331-3, qui confirme l’arrêté de 1984. 2003 : La lettre de l’assurance avance l’hypothèse que l’arrêté de 1984 est contraire à la loi de 1966. 2005 : Le canard enchaîné révèle les montants faramineux reversés aux banques apporteuses d’affaires par l’assureur CNP, leader de l’assurance emprunteur. 58 % pour le Crédit agricole, 70 % pour Cofidis… 2007 : le code des assurances dispose enfin que les emprunteurs ont le droit de participer aux bénéfices techniques et financiers de l’assurance emprunteur. L’article A 331-3 n’avait pas lieu d’être. L’UFC-Que Choisir engage une action en justice pour le remboursement des emprunteurs sur la période 1995-2007. 2008 : le gouvernement autorise les assureurs à reverser les bénéfices aux banques et non aux emprunteurs, au motif qu’il s’agit de contrats de groupe. 2010 : la loi Lagarde du 1er juillet donne à l’emprunteur la possibilité de choisir son assurance hors de la banque prêteuse. 2012, juillet : un arrêt du Conseil d’État donne raison à l’UFC-Que Choisir. Les arrêtés de 1995 étaient illégaux, les banques doivent rembourser quelque 15 milliards d’euros. (1) Voir simulation sur www.baofrance.com, rubrique Actualité. (2) Convention Aeras en 2007, loi sur le développement de la concurrence au service des consommateurs en 2008, loi Lagarde en 2010, modification de la convention Aeras en 2011.